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[Édito/Philippe Di Nacera] – Élections législatives, la France ingouvernable

Mis à jour le 20 juin 2022
Publié le 20/06/2022 à 1:09 , ,

Au lendemain des élections législatives qui ont suivi l’élection confortable d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, la France est quasiment ingouvernable. « Ce soir la situation est inédite sous la Veme République », a dit la Première ministre, Elisabeth Born. Outre une abstention massive dramatique pour la vitalité démocratique de la France (la moitié des Français n’ont pas voté), voici donc les enseignements « inédits » du scrutin législatif.

1- Deux surprises de taille ont surgi, hier soir. La première est la situation dans laquelle se trouve l’Assemblée nationale : depuis que les élections législatives succèdent constitutionnellement l’élection présidentielle, il n’est jamais arrivé que le président fraîchement élu ne parvienne pas à obtenir une majorité suffisante à l’Assemblée nationale pour gouverner seul. Avec 245 députés, la coalition constituée autour de la République en Marche, le parti présidentiel, est très loin des 289 députés nécessaires pour obtenir une majorité absolue. Si depuis quelques jours, sondeurs et commentateurs se doutaient bien qu’Emmanuel Macron n’atteindrait pas la barre des 289 députés, personne ne pensait que l’écart serait si important. C’est un grave échec pour le Président de la République qui s’est peu et mal impliqué dans la campagne électorale et voit sa situation politique considérablement se compliquer.

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La seconde grosse surprise est le score inattendu du Rassemblement national : alors qu’on lui prévoyait au mieux une trentaine de députés, il en obtient 89. C’est historique pour le parti de la droite extrême, d’autant plus remarquable que Marine Le Pen a mené une campagne législative assez discrète et que le scrutin majoritaire à deux tours, pratiqué en France, a toujours été défavorable à ce parti (le RN appelle à cor et à cri à la mise en place du scrutin proportionnel qui lui serait bien plus favorable). La surprise RN, véritable « choc démocratique », permet au parti de Marine Le Pen d’obtenir plus de députés que le celui de Jean-Luc Mélanchon (72 sièges pour La France insoumise).

2- On n’entendait que lui. Jean-Luc Mélanchon, avec sa NUPES, coalition hétéroclite de toutes les gauches autour de La France Insoumise, a rempli l’objectif de sauver la gauche du naufrage après l’élection présidentielle : avec 133 députés, l’alliance électorale de gauche a fonctionné, envoyant au parlement bien plus de députés que lors de la précédente législature. Mais l’objectif ambitieux, claironné par Jean-Luc Mélanchon dès le soir du second tour de l’élection présidentielle et tout au long de la campagne, d’être « élu Premier ministre » n’est pas, tant s’en faut, atteint. Pire, le parti de Mélanchon, La France Insoumise, obtient moins d’élus que le Rassemblement national. C’est un échec pour Jean-Luc Mélanchon. La NUPES doit désormais relever un défi : composée de quatre partis politiques qui, chacun, a ses options et son histoire (La France Insoumise, le Parti socialiste, Les Verts, le Parti communiste), elle devra faire la preuve qu’elle peut garder sa cohérence et rester le plus gros inter-groupe de l’opposition.

3- La nouvelle Assemblée nationale sortie du scrutin est totalement morcelée. Un parfum de 4eme République règne sur cet hémicycle.
Pour faire passer ses textes, le pouvoir essaiera de trouver des majorités de circonstances, en fonction des textes. Une méthode qui rappelle celle de Michel Rocard en 1988, mais qui, avec 44 de députés à trouver à chaque vote pour atteindre la majorité absolue, semble bien difficile à pratiquer.
Autre possibilité, bâtir une coalition de gouvernement comme cela se fait en Allemagne. Impossible avec la gauche de NUPES et l’extrême droite du RN, certains l’envisagent avec les Républicains (61 députés). Mais les plus hauts responsables de la droite de gouvernement ont, dès hier soir, fermé la porte. Exit donc l’idée d’une contrat de gouvernement avec une autre force politique.
Les solutions pour gouverner sont maigres pour Emmanuel Macron. Comme le disent certains ministres, il lui faudra beaucoup d’imagination. Et s’il s’avère que l’exercice soit vraiment impossible, le Président sera dans la nécessité de dissoudre l’Assemblée nationale pour appeler les Français à trancher, c’est-à-dire à envoyer au parlement une majorité claire. Cette dissolution, certains groupes politiques l’espèrent déjà avec la gourmandise de celui qui, sortant de table, n’est pas encore rassasié. La probabilité qu’une dissolution de l’Assemblée nationale intervienne dans les mois qui viennent est loin d’être virtuelle.

4- Le RN est le premier parti d’opposition représenté à l’Assemblée nationale. À ce titre, il réclame la présidence de la commission des finances, comme le prévoit la constitution. Il est le seul parti qui peut pleinement revendiquer une victoire qui le surprend lui-même.

Cette victoire nous dit que ce parti politique, autrefois « hors système », continue d’infuser et de progresser, à bas bruit, aux tréfonds de l’électorat français. Il est aujourd’hui le vrai représentant des classes populaires. Même LFI de Mélanchon, qui a capté massivement le vote jeune, est socialement plus hétéroclite que le RN (nombreuses sont les élites qui ont voté NUPES). Le Rassemblement national poursuit son institutionnalisation, signe que le verrou, autrefois mis en place pour l’empêcher d’avancer, à savoir le front républicain, appartient désormais au passé. Les électeurs de la droite traditionnelle ou de la gauche contestataire n’ont plus de scrupule à voter au second tour pour un candidat RN. Signe également que le « plafond de verre » psychologique, qui faisait que les Français s’empêchaient en quelques sorte de permettre la victoire d’un candidat RN, achève de se dissoudre. Signe enfin que Marine Le Pen a réussi l’« opération normalisation » de son parti.

Elle a eu tort d’annoncer prématurément qu’elle ne sera pas candidate à l’élection présidentielle de 2027. Sauf catastrophe majeure, je ne vois pas, aujourd’hui, ce qui pourrait l’empêcher d’être élue la prochaine fois. C’est l’échec d’Emmanuel Macron qui s’était présenté en 2017 comme le rempart face à l’extrême droite. Tout est prêt désormais au RN pour l’étape décisive.

Philippe Di Nacera

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